Tribunal judiciaire de Tours, 22 mai 2025, RG n°22/04715
Introduction : L’expertise judiciaire, un outil de preuve strictement encadré
Dans une affaire opposant un maître d’ouvrage, la SCI M****, à son prestataire de travaux, la SAS B****, le tribunal judiciaire de Tours, statuant par son juge de la mise en état, a refusé de faire droit à une demande d’expertise judiciaire formulée plus de deux ans après l’assignation en paiement. L’ordonnance rendue le 22 mai 2025 met en lumière l’usage parfois stratégique – voire dilatoire – de la procédure d’expertise en matière de litiges de construction, et rappelle les conditions légales strictes posées par les articles 144 et 146 du Code de procédure civile.
Contexte factuel : réception des travaux, factures impayées et demande tardive d’expertise
En 2018, la SCI M**** a fait construire un garage automobile. Les lots « charpente métallique » et « couverture-bardage » ont été confiés à la société B****. Les travaux, réceptionnés avec réserves le 8 septembre 2020, ont donné lieu à une mise en demeure puis à une assignation en paiement par la société B**** le 2 novembre 2022, à hauteur de 18 378,66 euros.
Ce n’est que près d’un an plus tard, le 4 septembre 2024, que la SCI M**** a sollicité l’organisation d’une expertise judiciaire, en se fondant notamment sur des constats d’huissier postérieurs à la réception, pour faire constater des désordres et tenter de retourner la situation contentieuse à son avantage.
Problématique juridique : expertise judiciaire et comportement dilatoire
La question posée au juge de la mise en état était donc de savoir si, dans un litige déjà bien avancé, la demande d’expertise judiciaire du maître d’ouvrage, invoquant des désordres de construction, devait être accueillie.
Le rappel des textes pertinents est fondamental :
- L’article 144 CPC autorise la mesure d’instruction si le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.
- L’article 146 CPC précise qu’elle ne peut suppléer une carence probatoire ni pallier la négligence d’une partie dans la conduite du procès.
Le juge rappelle également l’article 789 CPC, qui consacre sa compétence exclusive pour ordonner des mesures d’instruction pendant la phase de mise en état.
Refus de l’expertise pour cause de manquement à la loyauté procédurale
Dans son ordonnance, le juge rejette fermement la demande d’expertise, en soulignant :
- Le caractère tardif de la demande (plus de deux ans après l’assignation et près d’un an après les premières conclusions),
- L’absence de mise en cause de tiers, pourtant annoncée comme nécessaire,
- Le retard procédural récurrent de la SCI M****, ayant ignoré plusieurs injonctions du juge de conclure.
En résumé, le juge considère que la SCI M**** cherche à ralentir la procédure en vue d’échapper à une condamnation au paiement, et que sa demande d’expertise judiciaire est dépourvue de légitimité probatoire réelle. Le comportement procédural du maître d’ouvrage est ainsi qualifié, en creux, de manquement à la loyauté procédurale.
Cette analyse est réalisée à des fins d’information juridique. Pour toute situation particulière, il convient de consulter un avocat.