26 juin 2025, Cour de cassation, Pourvoi n° 23-20.274
Dans le secteur de la construction, les litiges sont fréquents et les délais pour agir en justice sont stricts. La prescription civile, qui fixe la durée au-delà de laquelle une action en justice n’est plus recevable, est un enjeu fondamental pour les syndics, maîtres d’ouvrage, entreprises du BTP et assureurs. Un arrêt récent de la Cour de cassation (3e civ., 26 juin 2025, n°23-20.274) apporte des précisions quant à l’interruption de la prescription par une assignation, même lorsqu’elle vise uniquement à rendre un jugement opposable à un tiers.
Qu’est-ce que la prescription civile ?
La prescription civile désigne le délai au-delà duquel une action en justice ne peut plus être exercée. En matière de responsabilité contractuelle ou délictuelle, ce délai est généralement de 5 ans (article 2224 du Code civil), sauf règles spéciales (comme la garantie décennale en construction).
Mais ce délai peut être interrompu, c’est-à-dire remis à zéro, par certains actes, notamment une demande en justice (article 2241 du Code civil).
L’affaire : un litige de façade… et de prescription
Les faits
En 2011, un syndicat de copropriétaires confie à une entreprise de ravalement des façades un chantier important. Cette dernière achète la peinture auprès d’un fournisseur, qui s’approvisionne lui-même auprès d’un fabricant. Les travaux révèlent rapidement des défauts d’uniformité de teinte.
Une expertise amiable est diligentée en 2013, puis une assignation est délivrée par l’entreprise contre le fournisseur et le fabricant, non pas pour les condamner, mais pour rendre le futur jugement opposable à ces derniers.
Quelques années plus tard, le syndicat assigne l’ensemble des intervenants pour obtenir réparation.
Le débat juridique
Le fournisseur et le fabricant soulèvent la prescription : selon eux, l’action est tardive. Ils estiment que l’assignation de 2013, qui ne visait qu’à rendre un jugement opposable, ne pouvait interrompre la prescription.
La décision de la Cour de cassation : une assignation peut suffire
La Cour de cassation rejette cet argument. Elle rappelle que :
« L’assignation aux fins de voir rendre opposable à une partie le jugement rendu à l’encontre d’une autre constitue une demande en justice interruptive de prescription au sens de l’article 2241 du code civil. »
Autrement dit, même si l’assignation ne vise pas directement à obtenir une condamnation, elle interrompt la prescription dès lors qu’elle permet à la partie appelée de se défendre et d’être liée par la décision à venir.
Pourquoi cette décision est importante pour les acteurs de la construction ?
1. Une sécurité juridique renforcée pour les maîtres d’ouvrage
Les syndics de copropriété ou promoteurs peuvent se rassurer : lorsqu’un intervenant à l’acte de construire est assigné, même à titre conservatoire ou pour rendre un jugement opposable, cela interrompt la prescription. Cela évite que des actions soient déclarées irrecevables pour des raisons purement procédurales.
2. Une vigilance accrue pour les entreprises et fournisseurs
Les entreprises du BTP et leurs fournisseurs doivent être attentifs à toute assignation, même indirecte. Une assignation « à titre d’opposabilité » peut suffire à relancer le délai de prescription. Il est donc important de suivre les procédures dès leur origine.
3. Une clarification utile pour les assureurs
Les assureurs construction, souvent appelés en garantie tardivement, peuvent désormais mieux anticiper les risques de prescription. Cette décision leur permet de mieux évaluer la recevabilité des actions dirigées contre leurs assurés.
Ce que dit le droit : les textes applicables
- Article 2224 du Code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
- Article 2241 du Code civil : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription. »
La Cour de cassation donne ici une interprétation large de la notion de « demande en justice ».
Une décision cohérente avec la logique de protection des droits
Cette jurisprudence s’inscrit dans une tendance constante de la Cour de cassation à favoriser l’accès au juge et à éviter les fins de non-recevoir excessivement formalistes.