Assurance-vie : la Cour de cassation clarifie les règles de changement de bénéficiaire

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12 août 2025

3 avril 2025, Cour de cassation, Pourvoi n° 23-13.803


La désignation du bénéficiaire dans un contrat d’assurance-vie est un acte important, souvent chargé d’enjeux patrimoniaux et familiaux.

Mais que se passe-t-il lorsque l’assuré souhaite modifier cette clause ? Jusqu’où peut-il aller ? Et surtout, l’assureur doit-il être informé pour que cette modification soit valable ?

Dans un arrêt du 3 avril 2025 (pourvoi n° 23-13.803), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence en matière de modification du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie. Cette décision, qui concerne directement les assureurs et gestionnaires d’assurance, mérite une analyse approfondie.

Le contexte du litige : une substitution de bénéficiaire contestée

Les faits

En 1998 et 2004, un assuré souscrit deux contrats d’assurance-vie auprès d’une société d’assurance. En 2014, il désigne Mme U. comme bénéficiaire unique. Mais en janvier 2015, il remplit de nouveaux formulaires pour répartir les capitaux entre dix bénéficiaires, dont Mme U., à hauteur de 50 % pour M. Y. U. et 50 % pour les neuf autres.

L’assuré décède en 2019. L’assureur, ignorant la modification de 2015, verse l’intégralité des capitaux à Mme U. Il engage alors une action en remboursement, estimant avoir commis une erreur sur l’identité du bénéficiaire.

La position de la cour d’appel

La cour d’appel de Bastia rejette la demande de l’assureur, considérant que la modification de 2015 n’avait pas été portée à sa connaissance avant le décès de l’assuré. Elle s’appuie sur une jurisprudence récente (2019 et 2022) exigeant cette notification pour valider la substitution.

Le cœur du débat : la validité de la substitution du bénéficiaire

Le cadre juridique applicable

L’article L. 132-8 du Code des assurances prévoit que, tant que le bénéficiaire n’a pas accepté le bénéfice du contrat, l’assuré peut librement le modifier. Cette substitution peut se faire :

  • par avenant au contrat,
  • par acte notarié ou sous seing privé (article 1690 du Code civil),
  • ou par testament.

Mais ce texte ne précise pas si l’assureur doit être informé de cette modification pour qu’elle soit valable.

Une jurisprudence fluctuante

Pendant longtemps, la Cour de cassation a jugé que la volonté de l’assuré devait être certaine et non équivoque, sans exiger que l’assureur en soit informé (1re Civ., 13 mai 1980 ; 2e Civ., 26 nov. 2020).

Mais deux arrêts récents (2e Civ., 13 juin 2019 et 10 mars 2022) ont introduit une exigence supplémentaire : la connaissance de la modification par l’assureur avant le décès.

L’apport de l’arrêt du 3 avril 2025 : un revirement clair

La position de la Cour de cassation

Dans son arrêt du 3 avril 2025, la deuxième chambre civile rejette expressément cette exigence de notification. Elle affirme que :

« La substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie, qui n’est subordonnée à aucune règle de forme, suppose seulement, pour sa validité, que la volonté du contractant soit exprimée d’une manière CERTAINE et NON EQUIVOQUE. »

Autrement dit, la connaissance de cette volonté par l’assureur n’est pas une condition de validité, mais seulement une condition d’opposabilité.

Les fondements de ce revirement

La Cour s’appuie sur plusieurs arguments :

  • Le texte de l’article L. 132-8 ne mentionne pas la nécessité d’une notification à l’assureur.
  • L’article L. 132-25 précise que le paiement fait au bénéficiaire initial est libératoire pour l’assureur de bonne foi, ce qui distingue validité et opposabilité.
  • La désignation du bénéficiaire est un acte unilatéral, qui ne nécessite ni l’accord du bénéficiaire ni celui de l’assureur.
  • Exiger une notification pourrait priver d’effet la volonté clairement exprimée de l’assuré, ce qui serait contraire à l’esprit du contrat.

Conséquences pratiques pour les assureurs

Une vigilance accrue sur la preuve de la volonté de l’assuré

Désormais, les assureurs ne peuvent plus se retrancher derrière l’absence de notification pour contester une substitution. Ils devront examiner attentivement les éléments de preuve produits par les bénéficiaires évincés ou contestés : formulaires, courriers, testaments, etc.

Une gestion plus complexe des litiges post-décès

Ce revirement ouvre la porte à des contentieux plus nombreux entre bénéficiaires, notamment lorsque plusieurs versions de la clause bénéficiaire coexistent. L’assureur, bien que libéré s’il a payé de bonne foi, pourra être impliqué dans des procédures de remboursement ou de redistribution.


Cas pratique : comment sécuriser une modification de bénéficiaire ?

Prenons l’exemple d’un assuré, M. Dupont, qui souhaite remplacer son ex-conjoint par ses enfants comme bénéficiaires de son contrat d’assurance-vie. Il peut :

  1. Remplir un formulaire d’avenant fourni par l’assureur.
  2. Rédiger un testament précisant cette volonté.
  3. Écrire une lettre manuscrite datée et signée, exprimant clairement sa volonté.

Même si l’assureur n’est pas informé, la validité de cette modification sera reconnue, à condition que la volonté soit claire et prouvée.


Ce qu’il faut retenir

  • La volonté de l’assuré est au cœur de la validité de la clause bénéficiaire.
  • Aucune forme particulière n’est exigée pour modifier le bénéficiaire.
  • La notification à l’assureur n’est pas nécessaire pour que la modification soit valable.
  • L’assureur est libéré s’il a payé de bonne foi, mais peut être confronté à des actions en remboursement.
  • Les professionnels doivent renforcer la traçabilité et l’information des assurés sur ces enjeux.

Un tournant dans l’interprétation de l’article L.132-8 du Code des assurances ?

L’arrêt du 3 avril 2025 marque un tournant dans l’interprétation de l’article L. 132-8 du Code des assurances en recentrant le débat sur la volonté de l’assuré.