Cour d’appel de Poitiers, 1ère chambre civile, 20 mai 2025, n° RG 24/01587
Résumé de l’affaire : quand l’incertitude diagnostique ne remet pas en cause l’exclusion contractuelle
Dans cette décision rendue le 20 mai 2025, la Cour d’appel de Poitiers confirme le refus de garantie opposé par un assureur en matière d’assurance prévoyance, malgré l’évolution du diagnostic médical de l’assuré. L’affaire illustre parfaitement les enjeux liés aux exclusions de garantie en assurance et aux obligations déclaratives de l’assuré.
Les faits : un ophtalmologue face à l’évolution de son diagnostic
M. K., ophtalmologue exerçant en libéral, avait souscrit en 2019 auprès d’une compagnie d’assurance :
- Un contrat d’assurance emprunteur
- Un contrat de prévoyance couvrant les risques décès et perte d’autonomie
Lors de la souscription, il avait déclaré dans son questionnaire médical un “tremblement main gauche” apparu en 2018. Sur la base d’un compte-rendu neurologique évoquant “vraisemblablement un tremblement essentiel”, l’assureur avait accepté le contrat avec une exclusion de garantie spécifique pour “le tremblement essentiel, ses suites et ses conséquences”.
L’évolution diagnostique : de tremblement essentiel à maladie de Parkinson
Le diagnostic médical de M. K. a connu plusieurs évolutions successives :
- Août 2018 : tremblement essentiel (diagnostic initial)
- Septembre 2019 : dystonie myoclonique
- Janvier 2021 : maladie de Parkinson
Mis en arrêt de travail en octobre 2019 pour dystonie myoclonique, M. K. a sollicité la prise en charge de son assurance prévoyance. L’assureur a refusé, invoquant l’exclusion contractuelle relative au tremblement essentiel.
Les arguments juridiques des parties
Position des assurés : l’exclusion ne peut s’appliquer à une pathologie différente
Les demandeurs soutenaient plusieurs moyens :
Sur la nullité de la clause d’exclusion (article L.113-1 du Code des assurances) :
- L’exclusion visant “le tremblement essentiel, ses suites et ses conséquences” ne serait pas suffisamment précise
- Elle permettrait d’exclure tous les symptômes de tremblement, vidant le contrat de sa substance
Sur l’inapplicabilité de l’exclusion :
- L’exclusion vise une maladie spécifique (tremblement essentiel) qui n’est pas celle dont souffre réellement l’assuré
- L’assureur ne peut invoquer une exclusion pour une pathologie distincte (dystonie myoclonique)
Position de l’assureur : l’identité de la pathologie malgré l’évolution diagnostique
L’assureur arguait que :
- Il s’agit de la même maladie neurologique, seul le diagnostic a évolué
- Selon l’article L.113.2 du code des assurances, l’assuré est dans l’obligation de déclarer en cours de contrat les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d’aggraver les risques soit d’en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes et ou caduques les réponses faites à l’assureur, notamment dans le formulaire, et que l’assuré aurait dû en tout état de cause l’aviser du nouveau diagnostic qui aggravait le risque.
La solution de la Cour d’appel : validation du refus de garantie
Sur la validité de la clause d’exclusion
La Cour d’appel valide la clause d’exclusion en application de l’article L.113-1 du Code des assurances :
“La clause d’exclusion fait référence à une pathologie précise : le tremblement essentiel, qui est une maladie spécifique (…) Elle vise un critère d’exclusion précis, qui a été spécifiquement visé dans une lettre confidentielle spécialement adressée à l’assuré”
Les juges précisent que la mention “ses suites et ses conséquences” :
- Ne porte pas atteinte au caractère formel et limité de l’exclusion
- Correspond à une notion juridique précise en droit des assurances (article 3 de la loi n°89-1009 du 31 décembre 1989)
- Est régulièrement validée par la jurisprudence (Cass 2° civ. 02.07.2015 P n°14-19967 ; 13.01.2011 P n°10-11806 )
Sur l’application de l’exclusion : l’identité pathologique prime sur l’évolution diagnostique
La Cour considère qu’il s’agit de la même maladie neurologique depuis 2018, malgré l’évolution des appellations diagnostiques :
“C’est la même maladie qui était symptomatique au jour de la signature du questionnaire de santé (…) qui fait l’objet de l’exclusion. La circonstance qu’elle soit, depuis, diagnostiquée autrement, ne retire rien au constat qu’elle est antérieure au jour de la conclusion du contrat d’assurance“
Le principe d’aléa en assurance : un risque déjà réalisé ne peut être garanti
La Cour rappelle un principe fondamental du droit des assurances :
“Le contrat d’assurance est, par nature, aléatoire. Il ne peut garantir un risque que les parties savaient déjà réalisé à sa souscription”
Perspectives jurisprudentielles : vers une approche substantielle des exclusions
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante privilégiant la réalité médicale sur l’appellation diagnostique. Elle rappelle que :
- L’exclusion de garantie porte sur la pathologie réelle, non sur son diagnostic initial
- L’incertitude médicale ne peut bénéficier à l’assuré lorsque la pathologie préexiste au contrat
- Le caractère aléatoire du contrat d’assurance demeure un principe intangible
Conclusion : un équilibre entre protection de l’assuré et sécurité juridique de l’assureur
La Cour d’appel de Poitiers trouve un équilibre entre :
- La protection de l’assuré par l’exigence de clarté des exclusions
- La sécurité juridique de l’assureur face à l’évolution des diagnostics médicaux
Cette décision confirme que l’exclusion de garantie en assurance prévoyance peut être opposée même en cas d’évolution du diagnostic médical, dès lors qu’il s’agit substantiellement de la même pathologie préexistante au contrat.