Dans un arrêt publié au Bulletin (pourvoi n°24-10.139), la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur les conditions d’imputabilité des désordres en matière de responsabilité décennale. Une décision qui, sans être révolutionnaire, marque un tournant dans la clarté des critères exigés.
Incendie post-réception : analyse du lien entre désordre et intervention technique
Le litige opposait un maître de l’ouvrage et son assureur à l’électricien ayant réalisé les travaux, ainsi qu’à son assureur. Quelques mois après la réception, la maison a été détruite par un incendie. L’expertise judiciaire identifie le tableau électrique comme point de départ du sinistre, sans qu’il soit possible d’en déterminer la cause exacte.
La cour d’appel de Toulouse avait refusé d’engager la responsabilité décennale de l’électricien, estimant que l’imputabilité n’était pas démontrée avec certitude. Elle relevait notamment que l’expert n’avait pu exclure des causes étrangères comme un acte de malveillance ou un défaut d’alimentation externe.
Responsabilité décennale : la Cour de cassation précise les critères d’imputabilité
La Cour de cassation casse cette décision, en rappelant que :
« Il suffit au maître de l’ouvrage d’établir qu’il ne peut être exclu, au regard de la nature ou du siège des désordres, que ceux-ci soient en lien avec la sphère d’intervention du constructeur recherché. »
Elle ajoute que :
« Lorsque l’imputabilité est établie, la présomption de responsabilité décennale ne peut être écartée au motif que la cause des désordres demeure incertaine ou inconnue, le constructeur ne pouvant alors s’exonérer qu’en démontrant qu’ils sont dus à une cause étrangère. »
Autrement dit, le maître d’ouvrage n’a pas à prouver que l’incendie résulte d’un vice de construction. Il lui suffit de démontrer que le sinistre est susceptible d’être lié aux travaux réalisés. Cette solution s’explique par la nature même de la garantie décennale, qui repose sur une responsabilité de plein droit, indépendante de toute faute.
Une jurisprudence constante sur l’imputabilité des désordres
Cette position n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la continuité de décisions antérieures, notamment :
Mais c’est la première fois que la Cour de cassation formalise aussi nettement les critères d’imputabilité, en distinguant clairement deux types de liens :
- Le lien géographique : le désordre est localisé dans une zone relevant de l’intervention du constructeur.
- Le lien causal : la nature du désordre est compatible avec les travaux réalisés.
Constructeurs, assureurs et maîtres d’ouvrage : enjeux probatoires et limites de la présomption de responsabilité
Attention toutefois à ne pas en conclure que tout désordre survenant dans les dix ans engage automatiquement la responsabilité du constructeur. Encore faut-il que le désordre soit imputable à son intervention. Cette nuance est essentielle pour apprécier avec rigueur la portée de chaque désordre au regard des travaux réalisés.