TJUD Orléans, 28 mars 2025, RG n°22/03287
Le 14 mars 2017, notre cliente a subi l’extraction d’une dent de sagesse par un chirurgien-dentiste. À l’issue de l’anesthésie, un épanchement sanguin inhabituel survient, entraînant un hématome étendu à la zone temporale et des douleurs persistantes. Devant la persistance des symptômes, une expertise médicale est ordonnée en référé en juillet 2017, laquelle conclut en 2022 à l’existence d’une faute du praticien. L’intervention a provoqué des complications graves : douleurs musculaires, atteinte neurologique du nerf trijumeau, et un syndrome de stress post-traumatique. La patiente et sa mère assignent le chirurgien-dentiste, son assureur RC et la CPAM devant le tribunal judiciaire d’Orléans pour obtenir réparation.
Ici, l’expertise judiciaire a été menée contradictoirement avec l’aide de sapiteurs (neurologue et psychiatre). Le tribunal, en s’appuyant sur ce rapport, rejette la demande de contre-expertise formulée par les défendeurs. Dans un jugement des plus motivés, il retient la responsabilité pour faute du chirurgien, fondée sur l’article L.1142-1 I du Code de la santé publique, et condamne solidairement le praticien et son assureur à indemniser les divers préjudices subis par notre cliente (préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux) à hauteur de plus de 650.000 €.
Se posait donc la question de savoir si un professionnel de santé engage sa responsabilité lorsqu’une technique médicale non adaptée et potentiellement dangereuse est utilisée, en l’absence de justification médicale.
Dans ce cas d’espèce, le tribunal judiciaire d’Orléans a jugé que le chirurgien-dentiste avait bel et bien commis une faute caractérisée, en choisissant une méthode d’anesthésie inadaptée (anesthésie rétro-tubérositaire haute) et en utilisant une aiguille de longueur excessive (21 mm) non conforme aux bonnes pratiques dans ce cas. Ce choix a directement entraîné des complications graves, rendant la faute certaine et à l’origine directe du préjudice.
A. Une application classique mais rigoureuse de la responsabilité pour faute en matière médicale
Le jugement applique strictement l’article L.1142-1 I CSP, qui impose la démonstration d’une faute pour engager la responsabilité des professionnels de santé. Ici, deux fautes sont retenues :
- L’emploi d’une technique non indiquée dans le cas d’espèce, risquée et disproportionnée par rapport à l’acte réalisé.
- L’usage d’un matériel inadapté (aiguille trop longue), augmentant significativement le risque de lésion.
L’intérêt de l’affaire réside dans la qualité de la preuve : le rapport d’expertise, précis et pluridisciplinaire, a permis d’établir l’imprudence ou la maladresse du praticien, malgré son expérience. La décision obtenue au profit de ma Cliente, victime, illustre que l’erreur technique peut constituer une faute dès lors qu’elle n’est ni justifiée, ni inévitable.
B. Une reconnaissance complète des préjudices corporels de la victime
Le tribunal procède à une indemnisation exhaustive et détaillée, valorisée à quasiment UN MILLION à la charge du praticien et de son assureur RC !
Cette approche souligne l’importance accordée au référentiel médico-légal dans l’évaluation des postes de préjudice.
C. Une portée pédagogique pour les professionnels de santé
L’arrêt a une portée dissuasive et pédagogique : il rappelle aux praticiens que le choix d’une technique invasive doit être strictement justifié par les circonstances médicales. À défaut, la responsabilité peut être engagée même en l’absence d’intention fautive.
Il met également en exergue le rôle central de l’expertise judiciaire, devenue l’élément clé pour établir la faute et le lien de causalité.
Responsabilité médicale : ce qu’il faut retenir du jugement du Tribunal Judiciaire d’Orléans
Le jugement illustre une mise en œuvre rigoureuse mais équilibrée de la responsabilité médicale. Le juge, en s’appuyant sur un rapport d’expertise solide, retient une faute fondée sur un choix thérapeutique non conforme aux bonnes pratiques, ayant causé un préjudice grave. Il en tire toutes les conséquences indemnitaires, en valorisant les preuves produites et en rejetant les prétentions non justifiées. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence constante, mais elle rappelle de manière forte l’exigence de prudence, de justification technique et de traçabilité des choix opératoires.