Tribunal judiciaire de Nancy, 28 avril 2025, n° 19/02706
La mérule, champignon lignivore particulièrement redouté des propriétaires, est susceptible de métamorphoser un simple dégât des eaux en véritable imbroglio juridique. Le jugement rendu le 28 avril 2025 par le tribunal judiciaire de Nancy illustre les enjeux liés à la responsabilité du propriétaire non occupant (PNO) face à la propagation de ce champignon. À travers une affaire complexe, mêlant problématiques d’assurance, de gestion locative et de copropriété, cette décision judiciaire apporte des éclairages concrets aux interrogations récurrentes des bailleurs et des syndics.
Les faits : un dégât des eaux aux lourdes conséquences
Madame A, propriétaire non occupante d’un appartement à Nancy, avait confié la gestion de son bien à une agence immobilière. En 2014, un affaissement du parquet est signalé, accompagné de joints de douche défectueux. Une entreprise intervient, mais les désordres persistent. En 2015, un expert mycologue diagnostique la présence de mérule pleureuse, un champignon destructeur du bois, causé par une infiltration d’eau.
La mérule s’est ensuite propagée à l’immeuble voisin, propriété d’une SCI, entraînant un contentieux impliquant plusieurs parties : propriétaires, syndicat de copropriété, entreprises et assureurs.
Le cœur du litige : qui est responsable de la mérule ?
A. La responsabilité du propriétaire non occupant
Le tribunal retient que le désordre trouve son origine dans l’appartement de Madame A, plus précisément dans les infiltrations d’eau autour du receveur de douche. En application de l’article 1242 du Code civil, le propriétaire est responsable des dommages causés par les choses qu’il a sous sa garde, ici son bien immobilier.
Même si Madame A n’occupait pas les lieux, sa qualité de propriétaire l’obligeait à veiller à l’entretien du logement, notamment en cas de signalement de désordres.
B. La responsabilité du gestionnaire locatif
La société chargée de la gestion du bien avait bien alerté la propriétaire en août 2014. Toutefois, elle n’a pas assuré le suivi des travaux nécessaires, notamment sur le parquet affaissé. Le tribunal considère qu’elle a contribué à l’aggravation des désordres, retenant sa responsabilité à hauteur de 15 %, contre 85 % pour la propriétaire.
C. Le syndicat de copropriété mis hors de cause
Le syndicat des copropriétaires a démontré que les désordres ne provenaient pas des parties communes. En l’absence de faute ou de lien avec les parties communes, sa responsabilité n’a pas été retenue.
L’enjeu des assurances : qui doit indemniser ?
Trois assureurs successifs
Madame A avait souscrit successivement trois contrats d’assurance PNO :
- Assureur A (2009)
- Assureur B (2010-2012)
- Assureur C (depuis 2013)
Le sinistre ayant été daté de juillet 2012 (date d’apparition des désordres), seul le contrat Assureur B était en vigueur à cette date.
La date d’apparition des désordres constitue un élément déterminant, dans la mesure où il est de jurisprudence constante que la garantie de l’assureur au titre des dommages causés par les eaux est acquise dès lors que le sinistre est survenu au cours de la période de validité du contrat (Cass. civ. 1re, 2 juill. 2002, n° 99-14.493).
L’assureur B tenu à garantie
L’assureur B contestait sa garantie, invoquant une clause d’exclusion pour les dommages causés par des champignons. Le tribunal a rejeté cet argument : la mérule étant la conséquence d’un dégât des eaux, elle entre dans le champ de la garantie.
L’assureur B a donc été condamné à indemniser :
- Les dommages causés aux tiers (SCI X, copropriété)
- Les dommages subis par Madame A (réfection de son appartement, pertes de loyers, frais divers)
Les indemnisations prononcées
En faveur de la SCI X
- 82 201,09 € pour les travaux de remise en état
- 81 710 € pour les pertes locatives (avril 2016 à juin 2024), plus 833,78 €/mois jusqu’à réalisation des travaux
- 8 000 € de dommages et intérêts
En faveur de Madame A
- 46 935,05 € pour les travaux dans son appartement
- 35 145 € pour les pertes de loyers (juillet 2015 à octobre 2023), plus 355 €/mois jusqu’au jugement
- 7 971,33 € pour les frais d’expertise et de conseil
En faveur du syndicat des copropriétaires
- 34 225,42 € pour les travaux d’éradication de la mérule dans les parties communes
Travaux obligatoires et astreintes
Le tribunal a ordonné la réalisation des travaux suivants dans le délai d’un an à compter du jugement sous astreinte de 100 € par jour de retard passé ce délai :
- Par Madame A : travaux dans son appartement
- Par le syndicat : éradication de la mérule dans les parties communes
Il a également condamné le syndicat à réaliser, dans un délai de trois mois :
- Travaux de mise en conformité du gaz : 6 875 €
- Travaux de renforcement de la structure : 64 942,32 €
Ce que les propriétaires non occupants doivent retenir
La vigilance est de mise, même en cas de gestion déléguée
Confier son bien à une agence ne dispense pas de suivre les alertes et de s’assurer que les travaux sont bien réalisés. En cas de sinistre, l’inaction peut engager la responsabilité du propriétaire.
La mérule est un risque à ne pas sous-estimer
Invisible au début, elle peut causer des dégâts structurels majeurs. Un simple affaissement de parquet doit alerter. Une expertise rapide peut éviter des années de contentieux.
L’assurance PNO est essentielle, mais attention aux clauses
Certaines exclusions peuvent priver de garantie. Il est crucial de vérifier que les dégâts des eaux et leurs conséquences (comme la mérule) sont bien couverts.
La copropriété n’est pas toujours responsable
Si le sinistre prend naissance dans une partie privative, la copropriété ne peut être tenue pour responsable, sauf preuve d’un défaut d’entretien des parties communes.
Ce jugement du tribunal judiciaire de Nancy rappelle que la responsabilité du propriétaire non occupant peut être engagée en cas de sinistre, même en l’absence d’occupation des lieux. La présence de mérule, souvent révélatrice d’un défaut d’entretien ou d’un dégât des eaux négligé, impose une vigilance accrue. Pour les bailleurs, syndics et professionnels de l’immobilier, cette affaire constitue un cas d’école sur les responsabilités croisées, les obligations d’entretien et les subtilités des garanties d’assurance.